Selon les dispositions de l’article L442-1.II du code de commerce : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. »

Peut-on considérer comme établie, une relation commerciale qui s’est poursuivie entre deux sociétés par des contrats à durée déterminée successifs, sans clause de reconduction tacite ?

L’affaire portée devant la Cour de cassation est la suivante :

En 1991, la société Chevignon concède à la société L’Amy une licence exclusive pour fabriquer et vendre des montures et lunettes de soleil sous les marques « Chevignon » et « Charles Chevignon », pour une durée de sept ans.

A l’issue de ces sept années, la relation commerciale se poursuit en exécution de contrats de licence successifs, signés pour une durée déterminée, sans reconduction tacite, les parties devant, à l’issue de chaque période, renégocier les conditions financières de l’octroi de la licence.

La dernière convention conclue pour trois ans est prorogée à trois reprises et en dernier lieu par un avenant prévoyant qu’elle prendrait irrémédiablement fin le 31 décembre 2021. Il est toutefois prévu que les parties pourront la résilier de façon anticipée, sans pénalités, sous réserve d’informer l’autre partie par courrier recommandé avant le 31 août 2019 de sa volonté de rompre le contrat pour l’année 2019. A défaut, il est précisé que le contrat se poursuivra jusqu’au 31 décembre 2021.

La société Chevignon, usant de cette faculté, notifie le 28 août 2019 sa décision de rompre le contrat avec effet au 31 décembre 2019.

La société L’Army, estimant le préavis insuffisant au regard de la durée de leur relation commerciale, saisit le tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir une indemnisation pour rupture brutale d’une relation commerciale établie.

C’est le liquidateur de la société L’Army qui poursuit la procédure et obtient gain de cause.

Pour la cour d’appel, la durée du préavis était insuffisante au regard de celle de la relation commerciale qui devait être prise dans son ensemble malgré la succession de contrats à durée déterminée.

Elle souligne que :

  • la reconduction systématique des conventions à des conditions globalement identiques et sans mise en concurrence pendant vingt-huit ans permettait à la société L’Amy d’anticiper raisonnablement leur poursuite, au moins jusqu’au dernier avenant conclu
  • la stipulation, dans chacun des contrats, à l’exception du dernier avenant, d’un terme obligeant à une renégociation à leur échéance sur les pourcentages de redevance, les minima garantis et le chiffre d’affaires minimum annuel, dès lors que cette dernière s’est avérée aisée et systématiquement fructueuse pour les parties, n’est pas de nature à rendre juridiquement précaire une relation aussi stable et consistante dans les faits

Elle ajoute que le fait que la rupture en cours d’exécution soit possible en droit n’implique pas qu’elle soit prévisible en fait et qu’en l’espèce, la durée, la continuité et la stabilité de la relation permettaient à la société L’Amy de croire raisonnablement que la possibilité d’une résiliation anticipée ne serait pas utilisée, d’autant qu’en dépit d’une faculté de résiliation anticipée aménagée par un précédent avenant, la relation avait invariablement perduré.

Pour la juridiction d’appel, ces éléments sont constitutifs d’une relation commerciale établie qui ne peut être rompue sans que soit respecté un préavis suffisant tenant compte de la durée de la relation commerciale.

La Cour de cassation valide ce raisonnement. Elle approuve la cour d’appel d’avoir retenu l’existence d’une relation commerciale établie entre les deux sociétés même si cette relation n’a été faite que de contrats successifs sans possibilité de reconduction automatique.

(Cass com 19 mars 2025 n°23-22.182)

Conclusion : si l’absence de clause de renouvellement tacite stipulée dans des contrats à durée déterminée successifs est un facteur d’instabilité de la relation commerciale, elle ne fait pas obstacle à ce que ces contrats puissent constituer une relation commerciale établie.

En conséquence, la durée du préavis doit tenir compte de la relation commerciale prise dans son ensemble.