Les juges civils ont parfois l’occasion de statuer sur la recevabilité d’une preuve obtenue de manière déloyale.
A titre d’exemple, il peut s’agir d’enregistrements obtenus à l’insu d’une partie ou de documents récupérés sans autorisation.
Jusqu’à sa décision du 22 décembre 2023, la position de la Cour de Cassation demeurait inchangée : les tribunaux civils ne pouvaient tenir compte d’une preuve obtenue de manière déloyale, c’est-à-dire recueillie à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème.
La Haute Juridiction revient sur sa jurisprudence par un arrêt du 22 décembre 2023, rendu en Assemblée plénière (Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023 n°20-20.648).
Elle reconnaît que l’application de sa jurisprudence peut conduire à priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits.
Elle relève qu’en matière pénale, aucune disposition légale ne permet au juge répressif d’écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale.
Surtout, elle rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ne retient pas, par principe, l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales.
En effet, la Cour européenne estime que, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l’article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence.
Pour la CEDH, « l’égalité des armes implique l’obligation d’offrir, dans les différends opposant des intérêts à caractère privé, à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ».
Le juge a donc l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre.
En considération de ces éléments, la Cour de Cassation opère un revirement de jurisprudence et déclare que, désormais, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduira pas nécessairement à l’écarter des débats.
Elle ajoute que le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
La preuve déloyale peut donc être admise en matière civile dans les limites ci-dessus.